Question : est-ce que quelqu'un sait combien de temps est sensé durer un tournage ? Lis pas assez de magazines popole, moi. D'après ce que je sais et mes calculs, faudrait environ deux mois aux acteurs pour tourner les scènes, plus tous les bidouillages techniques après...je sais pas. Et c'est pas bien grave. Pour l'intrigue, quatre mois, c'est bien.
Mes parents et les gens du casting mystérieux s'étaient mis d'accord pour un déjeuner d'affaire (mes parents travaillent pas mal : mon père est avocat et ma mère prof de lettres à la fac) le jeudi suivant. Fort heureusement, j'avais deux heures pour manger ce jour-là. Les trois heures de la matinée filèrent beaucoup trop vite à mon goût. A onze heures, je sortis sous le regard de mes amies mortes de rire, ainsi que de leur tripoté de petits copains. Franchement, je les hais. Je les hais tous autant qu'ils sont. Retrouvai mes parents, qui prirent la peine de me titiller un peu avant de retourner à leur conversation précédente. J'avais envie de pleurer. Sérieusement, comment est-il possible que j'ai autant de poisse ? Tout les monde se foutait de moi, mais j'ai rien fait ! C'était quand même pas de ma faute !
En réaction à l'injustice de la vie, je me mis à faire du lard. Expression pourrie, je sais bien, c'est celle qu'utilise mon père pour parler de mes pseudo-crises existencielles.
- Tu viens ma chérie ? me demanda mon papounet en sortant de la voiture.
Non, finalement, je pense que je vais rester là. Je vais...je vais réflechir un peu.
- Allez, dépêche toi, on va être en retard.
- C'est bon j'arrive...
- Et voilà qu'elle râle ! Mais personne ne t'a obligée à passer ce foutu casting ! s'irrita mon père.
- Tu m'as vue ? Tu pensais que j'y allais pour avoir le poste ? rétorquai-je.
En y réflechissant bien, on pourrait voir ça comme une virée entre copines qui aurait mal tourné. Un peu comme si on était allées se prendre une cuite et qu'en ressortant on avait été arrêtées pour troubles de l'ordre public.
Ouais. Non, en fait, pas du tout.
- Eh bien la prochaine fois tu réflechiras.
- Oui, ça, ça me paraît évident.
Nous pénétrâmes dans la brasserie (une brasserie sympa, avec une déco années folles et des serveurs assez mignons - je plaisante). Le brave barbu qui avait été aimable était là, ainsi qu'une autre personne. Je crois que c'était la femme du casting, mais je n'en mettrai pas ma main à couper.
Ils nous saluèrent, se présentèrent (la fameuse Hélène Doran et Mrs Andrew Johnsson (je savais bien qu'il était pas français, celui-là / Johnsson c'est pourri comme nom, tant qu'on y est)) commencèrent à discuter de la pluie et du beau temps avant de consulter le menu. Je pris un steak frites. On s'en fout. Je sais.
Pendant que nous mangions, mes parents discutèrent et discutèrent encore, interrogeant les étranges personnes qui m'avaient choisie pour une fonction obscure et une raison tout aussi sombre. Je n'écoutais pas vraiment. Je m'en foutais royalement. Tout ce que je voulais, c'était finir mon steak, prendre un dessert et retourner au lycée. Après avoir aimablement décliné leur offre d'emploi.
- Alors, dit Mrs Johnsson en repoussant son assiette. Parlons de ce qui nous intéresse.
J'avais envie de lui sauter dessus et de le griffer. Mrrrraaaou !
Pardon.
...Reprenons.
- Comme je vous l'ai dit au téléphone, reprit Héléne, la belle Hélène (enfin, belle...), votre fille correspond parfaitement au profil que nous recherchons.
Parce que je corresponds à un profil ? Je croyais que je venais d'une autre planète. Genre Krypton, comme Superman. Quoique, non. Porter du bleu EDF et une culotte rouge...beurk.
- Eh bien... nous aimerions savoir de quoi il s'agit réellement avant de pouvoir envisager une réponse, déclara mon père.
- Celia de vous a pas expliqué ?
Je crus devoir intervenir.
- Je ne sais pas à quoi correspond le casting que vous m'avez fait passé, dis-je. Je vous ai dit que je faisais ça pour m'amuser avec des amies.
Ils s'entre regardèrent.
- Merveilleux, finit par dire le barbu.
Je rêvais. Je me débrouillais pour leur faire gentiment par de mon inintérêt pour leur truc, et il trouvait ça génial.
- Je ne sais pas si vous savez, mais un important studio d'Hollywood a financé l'adaptation au cinéma de la trilogie de Harvey Henvy "Les Trois Lunes".
Si, je le savais. J'adore ces bouquins (une découverte de Flore le-rat-de-bibliothèque) et j'avais appris par un quelconque moyen que je ne sais plus qui allait les adapter au cinéma. Sans doute par Malicia ou Estrella, qui adoraient lire des magazines bidons sur les stars et leurs histoires hyper-intéressantes.
- Vous ne voulez pas dire que ce casting c'était pour ça ? demandai-je.
- Eh bien...si.
Je lui ris au nez pour la seconde fois. Mais là, c'était vraiment drôle. Ce mec voulais me faire croire que j'avais été prise pour jouer dans un film produit par un studio hollywoodien. Morte de rire. M-D-R. L-O-L. E-X-P-D-R. [c'est comme ça qu'on dit ?]
Autour de la table, mes parents et les autres tarés me regardaient m'étouffer de rire. Pendant que je riais, l'homme donna un truc à mon père, qui se transforma aussitôt en SuperAvocat, le superhéros des avocats. J'adore l'avocat, surtout avec du citron et du sel. Avec des crevettes, aussi, c'est pas mal.
Au bout d'un bon moment, je parvins à m'arrêter.
- Bon, dis-je. C'était drôle, mais je vais devoir retourner au lycée.
- Celia, s'il te plaît, tais-toi, m'intima mon père, plongé dans sa lecture.
- Qu'est-ce qu'il est en train de lire ? m'enquis-je.
- Le contrat que nous avons rédigé pour vous, si vous acceptez, m'informa Héléne.
- C'était vraiment pas une blague ?
- Non.
- Est-ce que je pourrais avoir une explication : comment se fait-il que vous ayiez fait un casting dans une ville comme ici ?
- Nous avons organisé des casting comme celui-là dans les plus grandes villes de France.
- Mais...pourquoi ?
- Une lubie de l'auteur. Il tenait absolument à ce que l'actrice qui jouerait Sylfaen soit une française, inconnue de préférence. Il trouve ça exotique et mystérieux.
Sylfaen...?!...comme la fille qui est l'amoureuse du héros et qui est aussi la fille du roi des Sylvains ? C'est pas possible, je dois être en train de faire un rêve tordu. Vraiment tordu.
- ...mais c'est un des personnages principaux, balbutiai-je.
- Oui, oui, c'est exact.
Seigneur Dieu, je ne sais pas si c'est un rêve ou un cauchemar...J'ai été chosie pour jouer un premier rôle dans un film hollywoodien à budget incalculable qui est l'adaptation d'un de mes livres préférés. Je suis la seule personne au monde à qui un truc pareil pouvait arriver. On aurait dit le scénario d'un mauvais roman. Je veux me réveiller.
- Mais je...c'est pas possible enfin, il y a forcément quelqu'un de meilleur que moi...
- Votre façon de jouer est très naturelle, me contredit Héléne. Vous êtes douée, il faut juste travailler un peu.
Mon père finit sa lecture, me regarda et dit :
- La prochaine fois que tu as une idée comme ça, surtout, ne te retiens pas.
Puis il discuta pendant un moment avec Mrs Johnsson, pendant que ma mère s'informait auprès d'Hélène.
- Si jamais Celia décide d'accepter...comment ça va se passer ?
- Eh bien, elle prendra des cours de théâtre et d'anglais plusieurs fois par semaine jusqu'en juin. Ensuite, elle devra rejoindre l'Autriche, où nous allons tourner dans un premier temps, puis nous irons en Angleterre, à Los Angeles et en Nouvelle-Zélande.
- Combien de temps pour tout ça ?
- Quatre mois pour le premier film. Le second sera tourné à partir de février l'année prochaine et le troisième en novembre.
- Mais elle a des cours à suivre...
- Ce n'est pas un problème. La production engagera des professeurs qui lui donnerons des leçons.
- Mais le bac...
- Elle sera au niveau, il lui suffira de se présenter en candidat libre.
Apparemment, ils étaient préparés à toutes les éventualités. Mon père finit avec Mrs Johnsson et regarda sa montre.
- Il va falloir y aller, sinon tu vas être en retard.
- D'accord.
Nous nous séparâmes, après que mes parents eurent négocié un délai de quelques jours pour que nous puissions réfléchir à tout ça. Arrivés dans la voiture, ma mère dit :
- Ma fille est une future grande actrice d'Hollywood. Je peux pas le croire.
- Maman...
- En tout cas, ce contrat m'a l'air très bien. Evidemment, tu devras t'engager à faire les trois films et tu as une exclusivité de deux ans, mais sinon, c'est très correct.
Gros avantage d'avoir un père avocat. Je n'avais même pas besoin de quelqu'un pour examiner mes contrats.
Mais qu'est-ce que je dis moi ? "Mes contrats"...faut vraiment que j'arrête le jus d'ananas. Est-ce que je vous ai dit que j'adore le jus d'ananas ?
Je sautais hors de la voiture et regagnai ma classe de SVT. Mon cerveau fonctionnait à plein régime. D'abord, il n'était pas question que j'en parle à mes copines, elles allaient encore me saouler. Je ne savais pas non plus si je devais accepter ou refuser. J'aurai bien aimé dire oui, parce que c'était quand même terriblement tentant de jouer dans ce film, gagner un max d'argent et devenir une star. En plus, j'aurais des super costumes. Mais en même temps, ça signifiait que je devais sacrifier mes vacances d'été, louper la moitié des deux prochaines années scolaires et que les gens risquaient de me reconnaître dans la rue, et que des tas de filles allaient être jalouses de moi, et que j'allais avoir des tas de faux amis. En plus, je devrais vraisemblablement embrasser le gars qui jouerait Aenaël. Je n'étais pas certaine d'en avoir très envie.
Enfin...restait à voir la tête du gars.
- Alors ? me demanda Estrella avec un sourire abominablement ironique.
Deux solutions : lui mettre mon poing dans la tête ou lui faire avaler sa langue.
- Oui ?
- On t'a engagée pour jouer dans la prochaine pub pour une marque de lessive ?
- Je n'ai pas encore donné ma réponse.
- Je vais regarder la télé en boucle rien que pour te voir et rire.
- Estrella, ouvre bien grand tes oreilles : je ne vais pas jouer dans une pub bidon, parce que primo je n'ai dit ni oui ni non, et qu'ensuite ça n'a rien à voir avec la publicité.
- Oh, oh...film d'auteur à petit budget sur la vie des lycéens français ?
- Mais qu'est-ce que je vous ai fait ? C'est quand même pas de ma faute si les producteurs m'ont choisie !
- Tu t'entends parler ? intervint Alex. "Les producteurs"... on est pas à Hollywood.
Eh m**** ça m'a échappé.
Et en plus, on était à Hollywood.
- Il y a toujours des gens qui paient, même pour une pub bidon, ma chère, et ça s'appelle des producteurs.
A cet instant, je brûlais d'envie de leur balancer que j'étais préssentie pour jouer Sylfaen dans Les Trois Lunes, produit par je ne sais quel studio d'Hollywood et avec un budget beaucoup trop important pour que l'on appelle pas ça du gâchi.
- Alors tu joues dans le prochain film de Spielberg ?
- Exactement.
Flore sortit le nez de son livre, et dit :
- Si ça se trouve, c'est vrai.
- Flore redescend sur Terre, on est en France, pas aux States, la rabroua Malicia.
- Dans le dernier H.P., deux des actrices principales étaient françaises.
- Oui, mais elles ont sans doute passé un casting un peu plus serieux que celui-la.
- Au contraire, si j'avais été producteur d'un film comme ça, j'aurai fait un casting bidon pour que seules les personnes motivées viennent. Au moins, on est pas motivé par l'appât du gain. - Si tu le dis...Mais il n'empêche que ce genre de truc, ça n'arrive qu'aux autres.
Flore haussa les épaules et retourna à sa lecture. La sonnerie, cette chère et délicate sonnerie, retentit bientôt, et le prof d'anglais pénétra dans la salle.
- C'est parti pour deux heures d'ennui total...soupira Alex.
- Flore, t'as pas un truc à lire ? s'enquit Estrella.
- Ton niveau en anglais n'est pas suffisant pour que je te permette de lire en cours, rétorqua celle-ci.
- C'est vraiment dégueulasse.
- En effet.
Samedi 5 août 2006 à 20:09
Commentaires
Par Guilty le Vendredi 13 octobre 2006 à 18:18
désolée je l'ai pas lu ... ;-P
Par Mardi 28 juillet 2009 à 15:23
le c'est sur que les copines sont chiantes sur ce coup là !
mdr la fin ^^
mdr la fin ^^
Par Lundi 30 novembre 2009 à 18:56
le Histoire de famille réaliste, drôle et bien racontée.
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